Le choix de la cohabitation ?

C’est l’ printemps ! Et le retour des guerres de territoire. Anémones sauvages et ail des ours. Jacinthes et narcisses. Tulipes et muscaris. Pervenches, primevères et pâquerettes. Et, au coeur d’une touffe de pivoines de Chine, une pousse de rosier rugueux, une ‘Rosa gallica’ conquérante et toute hérissée d’épines.

Y aurait-il devoir d’ingérence ? Faut-il les séparer avant qu’ils ne s’entre-étouffent ? Ou rester prudemment dans la neutralité et l’observation ?

La belle saison

Peut-être l’avions-nous oublié : le vert est la plus précieuse des couleurs. Avec le retour de la pluie, le retour des beaux jours : parfums d’herbes mouillées et de champignons, couleurs qui se bousculent, fleurs qui s’ébouriffent d’impatience, murmures et grondements du ruisseau, cris du martin-pêcheur. Et… le brame, « l’haleine de la nuit ».

Dans la plaine Naît un bruit. C’est l’haleine De la nuit. Elle brame Comme une âme Qu’une flamme Toujours suit.

Les Djiins, Victor Hugo

Petits oiseaux de paradis

Bien sûr ce ne sont pas des Strelitzia reginae. Ils n’ont pas le port majestueux de ces fleurs au long bec et à crête orange triomphant. Ce sont mes petits oiseaux de paradis, autrement appelés crocosmias, plus modestes, plus discrets mais tellement plus gracieux.

Vaillants sous la canicule, ils ont réduit leur envergure pour résister à la sécheresse mais ils prolifèrent allègrement autour de la mare aux grenouilles…

Quel est ce silence ?

On n’osait plus y croire mais l’orage tant attendu a éclaté. La pluie donnera peut-être un nouveau sursis au jardin. Déjà, les rosiers annoncent une nouvelle floraison et les agapanthes, imperturbables sous la canicule, se délectent des gouttes d’eau.

alchémille mollis

Dans la délicieuse fraîcheur de ces derniers petits matins, c’est le silence. Les grenouilles et les insectes sont invisibles, comme les oiseaux. Seuls quelques cris timides et lointains nous donnent signe de vie.

Hydrangea ‘Blue Bird’

Pourquoi, alors que le jardin est enfin arrosé, fumant de parfums, tout le monde l’a-t-il déserté ? Pour les oiseaux, pas de quoi s’inquiéter, nous a rassurés la Ligue de protection des oiseaux : « vos mésanges et vos pinsons sont partis dans la forêt » sans doute plus appétissante que notre jardin.

Papillon endormi sur une feuille d’alchémille

Notes de musc, de vanille et peut-être d’amande…

Dans la tiédeur du soir qui tombait, je perçus à l’approche d’un ruisseau une odeur puissante et très suave. Ces effluves inconnues envahissaient l’air plus frais à cet endroit et m’emplirent de bien-être. Il y avait là un mélange entêtant de musc et de vanille, d’amande aussi peut-être, avec une acidité menue qui en allégeait le parfum. Comment la nature pouvait-elle exhaler une aussi douce fragrance ?

Juste au bord du ruisseau se dressait en évidence une masse feuillue surmontée d’un fouillis vaporeux que l’obscurité naissante rendait indéfinissable. En m’approchant, je pus caresser de mes doigts une multitude de petites fleurs groupées au sommet de longues tiges raides.

Cette expérience fondatrice, François Couplan l’a vécue dans la Vôge, pas si loin de notre jardin. Dommage que le poète-instituteur qui lui a aussitôt la clé du parfum de la reine des prés ne soit plus là. J’aurais aimé qu’il nous apprenne l’art de mettre des mots sur les senteurs, à nous qui sommes devenus aussi pauvres en vocabulaire qu’en sensorialité.

Mais c’est déjà un grand plaisir d’écouter François Couplan, ethnobotaniste parler des plantes sauvages comestibles dans Le temps d’un bivouac

Surlendemain de fête

Non, nos jardins ne sont pas virtuels. Si nos chers abonnés ne nous visitent qu’à distance, nos échanges sont riches de vie, d’expériences, d’émotions. Et quand la rencontre arrive enfin à l’ombre du grand hêtre, c’est une amitié qui devient concrète.

Malyloup est venue « observer la vie » dans notre jardin et elle a réussi à y saisir une foule de petits hôtes souvent virevoltants : OBSERVER LA VIE

Ne jamais capituler

Et dire qu’en octobre dernier, je voulais les brûler ! Il ne leur restait plus une seule feuille saine malgré les effeuillages sélectifs, les pulvérisations régulières, les nettoyages du sol. C’est probablement la météo qui a sauvé les rosiers. J’étais trop découragée pour travailler au jardin et mettre la menace à exécution.

Rosier Gertrude Jekyll

Et ce printemps, merci aux amies jardinières pour leurs bons conseils, les rosiers renaissent des cendres que j’ai répandues à leur pied.

Rosier Madame Austin à moins que ce ne soit Roald Dahl…

Taillés mi-avril plus que sévèrement, ils n’ont pas encore l’envergure ou la hauteur qu’ils devraient avoir mais ils semblent pleins de promesses…

…et de consolations quand fanent les dernières pivoines.

Trois parfums

Pourquoi n’est-ce pas toujours aussi facile ? Une division de pivoines de Chine, réputée lente à la reprise, a pris en seulement deux ans l’envergure et la générosité de la plante mère. Elle est soutenue par deux arbustes plantés dans le cadre de mon « plan canicule » 2020 : un seringat et un rosier rugueux chargés de « faire de l’ombre ». Mission accomplie, eux aussi ont pris une ampleur spectaculaire.

Mais que dire de leurs parfums ?

De la pivoine, de la rose et du seringat, lequel est le plus subtil ? Je donne ma langue au chat…

…à petit Poutou, le grand « nez » du jardin.

Jaunes printemps

Mille et un éclats de jaunes et une pensée pour Vincent qui devait vivre le printemps jusqu’à la brûlure. « Il aimait le jaune, ce bon Vincent, ce peintre de Hollande, ces lueurs du soleil rallumaient son âme, qui abhorrait le brouillard, qui avait besoin de la chaleur » (Paul Gauguin).

Parmi les fleurs sauvages, l’explosion des genêts. Ils se multiplient spontanément en bordure de forêt dès qu’ils trouvent un peu de soleil.

Hiératiques, et envahissants eux aussi, les iris des jardins…

Dangereusement épineux (pour le grand bien des mésanges), délicieusement parfumé, le Berberis Koreana, plus subtil encore que le lilas dont il repousse la floraison dans des hauteurs inaccessibles…

Cadeau des pluies d’avril, des vagues de boutons d’or…

Cadeau d’un oiseau, qui l’a probablement volé dans le village, un petit pavot jaune safran (un pavot d’Islande, je crois) a réussi à se faire une place parmi les sauvageonnes.

Dilemmes du jardinier

Elles sont plus fortes que tout, les sauvages de la forêt. Les bugles rampantes se disputent le terrain avec les fraises sauvages. Les lysimaques ciliata Fire Cracker parviennent à émerger (elles aussi sont envahissantes) mais les saxifrages et les phlox sauront-ils s’imposer ?

Au bord de la forêt, les silènes dioïques, joliment appelées compagnons rouges et compagnons blancs se battent avec les myosotis, les primevères sauvages et les euphorbes des bois. Arracher ? éclaircir ? Laisser faire la nature, sachant que dans quelques semaines, tout cela n’aura plus du tout la même allure ?