Rendez-vous au jardin les 10 et 11 juin

Gertrude Jekill, Madame David Austin, Queen Elizabeth sont prêtes. Les pivoines vont sortir de leurs cages et les artistes vont commencer à s’installer jusque sur les rochers du ruisseau :

les sculptures de crin de Fabrice Po, les chimères de Martine Sauvageot, 

les cocons, semences et autres céramiques de Bernard Defer, 

les créations en raku de Ginette Heuraux et en terre fumée de Roselyne Norroy,

le jardin secret éclairé des lumières végétales de Lazuli Biloba et des invitations au voyage de Lise Gin…

Et, si le soleil ne se fait pas trop brûlant, encore quelques fleurs de glycines, d’azalées et de rhododendrons…

Le choix de la cohabitation ?

C’est l’ printemps ! Et le retour des guerres de territoire. Anémones sauvages et ail des ours. Jacinthes et narcisses. Tulipes et muscaris. Pervenches, primevères et pâquerettes. Et, au coeur d’une touffe de pivoines de Chine, une pousse de rosier rugueux, une ‘Rosa gallica’ conquérante et toute hérissée d’épines.

Y aurait-il devoir d’ingérence ? Faut-il les séparer avant qu’ils ne s’entre-étouffent ? Ou rester prudemment dans la neutralité et l’observation ?

Automne en vert et roses

Même si l’été n’en finit pas, même si la forêt et les collines restent bien vertes, même si les rosiers s’obstinent à refleurir, le mois de novembre réveille l’écho d’Apollinaire, soumis pour l’éternité « au chef du signe de l’automne »…


« Ma vie est recueillie en ma saison factice

Et je feins d’écouter la chute des fruits mûrs

Tandis qu’une araignée entre mes bras se tisse

La toile où tôt cherront les pucerons impurs« 

« L’automne et l’écho » in « Le guetteur mélancolique »

La belle saison

Peut-être l’avions-nous oublié : le vert est la plus précieuse des couleurs. Avec le retour de la pluie, le retour des beaux jours : parfums d’herbes mouillées et de champignons, couleurs qui se bousculent, fleurs qui s’ébouriffent d’impatience, murmures et grondements du ruisseau, cris du martin-pêcheur. Et… le brame, « l’haleine de la nuit ».

Dans la plaine Naît un bruit. C’est l’haleine De la nuit. Elle brame Comme une âme Qu’une flamme Toujours suit.

Les Djiins, Victor Hugo

Quel est ce silence ?

On n’osait plus y croire mais l’orage tant attendu a éclaté. La pluie donnera peut-être un nouveau sursis au jardin. Déjà, les rosiers annoncent une nouvelle floraison et les agapanthes, imperturbables sous la canicule, se délectent des gouttes d’eau.

alchémille mollis

Dans la délicieuse fraîcheur de ces derniers petits matins, c’est le silence. Les grenouilles et les insectes sont invisibles, comme les oiseaux. Seuls quelques cris timides et lointains nous donnent signe de vie.

Hydrangea ‘Blue Bird’

Pourquoi, alors que le jardin est enfin arrosé, fumant de parfums, tout le monde l’a-t-il déserté ? Pour les oiseaux, pas de quoi s’inquiéter, nous a rassurés la Ligue de protection des oiseaux : « vos mésanges et vos pinsons sont partis dans la forêt » sans doute plus appétissante que notre jardin.

Papillon endormi sur une feuille d’alchémille

Ne jamais capituler

Et dire qu’en octobre dernier, je voulais les brûler ! Il ne leur restait plus une seule feuille saine malgré les effeuillages sélectifs, les pulvérisations régulières, les nettoyages du sol. C’est probablement la météo qui a sauvé les rosiers. J’étais trop découragée pour travailler au jardin et mettre la menace à exécution.

Rosier Gertrude Jekyll

Et ce printemps, merci aux amies jardinières pour leurs bons conseils, les rosiers renaissent des cendres que j’ai répandues à leur pied.

Rosier Madame Austin à moins que ce ne soit Roald Dahl…

Taillés mi-avril plus que sévèrement, ils n’ont pas encore l’envergure ou la hauteur qu’ils devraient avoir mais ils semblent pleins de promesses…

…et de consolations quand fanent les dernières pivoines.

Trois parfums

Pourquoi n’est-ce pas toujours aussi facile ? Une division de pivoines de Chine, réputée lente à la reprise, a pris en seulement deux ans l’envergure et la générosité de la plante mère. Elle est soutenue par deux arbustes plantés dans le cadre de mon « plan canicule » 2020 : un seringat et un rosier rugueux chargés de « faire de l’ombre ». Mission accomplie, eux aussi ont pris une ampleur spectaculaire.

Mais que dire de leurs parfums ?

De la pivoine, de la rose et du seringat, lequel est le plus subtil ? Je donne ma langue au chat…

…à petit Poutou, le grand « nez » du jardin.

Squatters élégants

Le calme revenu, je croyais qu’ils avaient finalement changé d’adresse. La semaine dernière, il y avait grande agitation dans le rosier ‘Bajazzo’ qui grimpe sur le pilier de la terrasse. Deux chardonnerets élégants faisaient équipe pour y construire leur nid : à chacun son tour (il me semble), l’un se postait sur une branche du grand hêtre pleureur pour surveiller les lieux pendant que l’autre ajoutait son brin à l’édifice…

Il est là, au milieu des branches et de la photo, en plein travail.

…et peut-être quelques poils de chat que je dépose au pied des arbustes. Ce matin, plus un mouvement mais… un chardonneret sur le petit nid caché dans l’enchevêtrement des branches du rosier.

Invisible depuis le jardin, à peine soupçonnable depuis la maison, interdiction est cependant décrétée de passer par la terrasse jusqu’à l’éclosion et l’envol des oisillons. Deux à trois semaines semble-t-il.

Ultimatum

Les rosiers m’auraient-ils entendue ? Je les ai prévenus en les taillant (très sévèrement) à la fin de l’hiver : ce serait probablement leur dernier été. Couper et ramasser chaque matin les feuilles tachées de noir, les pulvériser tous les quinze jours contre les maladies cryptogamiques, c’est une souffrance pour la jardinière comme pour le rosier.

Et voilà qu’ils n’ont jamais été aussi généreux…

Dans les carrés du « jardin des moines », Gertrude Jekill et une inconnue d’un beau rose magenta ont retrouvé une belle santé, sans doute sous l’effet des pluies printanières.

Au pied de la maison, les rosiers arbustifs ‘Pat Austin’ reprennent de la consistance…

…ainsi que ‘Michel Serrault’. Mais les rosiers ‘Lenôtre’, ‘Queen Elizabeth’ et quelques autres commencent à donner des signes inquiétants. Alors, à moins de leur trouver un refuge, ils seront sacrifiés et remplacés par des rosiers ADR…

ADR (Anerkannte Deutsche Rose), c’est le label qui récompense les variétés les plus résistantes, les plus floribondes, les plus rustiques, sans aucun traitement préventif ou curatif. Et notre rosier ‘Bajazzo’ de Kordes démontre cette année encore que le label est bien fiable. Seul soin : soutenir les branches trop lourdement chargées de fleurs.

Mais il reste un mystère…

Comment expliquer que ces deux vieux rosiers « abandonnés » dans la rocaille sous les épicéas se portent aussi bien ? Théoriquement, ils ne devraient pas vivre là…

Mellow fruitfulness

Season of mists and mellow fruitfulness,

Close bosom-friend of the maturing sun;

Conspiring with him how to load and bless

With fruit the vines that round the thatch-eves run;

To bend with apples the moss’d cottage-trees,

And fill all fruit with ripeness to the core;

To swell the gourd, and plump the hazel shells

With a sweet kernel; to set budding more,

And still more, later flowers for the bees,

Until they think warm days will never cease,

For summer has o’er-brimm’d their clammy cells.

John Keats (1795-1821)

Ce doit être le pouvoir des odeurs. L’automne réveille en moi la lointaine musique des grands bois qui « effraient comme des cathédrales », des colchiques « couleur de cerne et de lilas » qui lentement empoisonnent. Pour John aussi, l’automne ravive le souvenir de ses grands classiques. Merci à lui pour cette découverte et cet ode à l’automne, saison à la sensualité sans pareille.

Saison de brumes et de moelleuse profusion,

Tendre amie du soleil qui porte la maturité,

Avec lui conspirant à bénir d’une charge de fruits

Les treilles qui vont courant le long des toits de chaume ;

A courber sous les pommes les arbres moussus des fermettes

Et à gorger de suc tous les fruits jusqu’au coeur ;

A boursouffler la courge et grossir les coques des noisettes

D’un succulent noyau ; à faire éclore plus

Et toujours plus encore de fleurs tardives en pâture aux abeilles,

Au point qu’elles croient que les chaudes journées jamais ne cesseront,

Tant l’été à pleins bords a rempli leurs visqueux rayons.

John Keats (1795-1821)