L’année des grenouilles

« Poète…

Au temps, comme il vient, dis merci,

Au soleil, à la pluie aussi,

Et tâche d’être, et le souhaite,

Grenouille et cigale à la fois,

Pour chanter tout ce que tu vois

De bon coeur et de belle voix. »

Chanson de Jean Richepin (1849-1926)

Douze grenouilles pour un petit bassin…

2020 sera, entre autres étrangetés, l’année des grenouilles. Elles sont partout et se font entendre à toute heure : sur l’étang, au bord de « leur » mare et dans le petit bassin que nous n’osons plus nettoyer de peur de les déranger…

Sur leurs radeaux, les feuilles et même les pétales de nénuphars de l’étang…
Au soleil, sur les pierres chaudes de leur mare, à l’abri des bambous et des graminées.

Eclosions d’hydrangéas

Ils seront bientôt somptueux. Macrophylla, paniculata, arborescents, ils fleuriront généreusement tout l’été sans demander d’autre attention que l’arrosage. Mais je crois que c’est en tout début de floraison que je les préfère. Hortensias de « grand-mère », installés depuis des décennies par nos prédécesseurs, ou hydrangéas plus rares venus de jardins japonais, l’éclosion de leurs premières fleurs est particulièrement émouvante.

Hortensia macrophylla « boule » , ‘Blaue Donau’ ?
Hydrangea arborescens ‘Annabelle’ dont les jolies ombelles vertes annoncent de généreuses boules blanches.
H. paniculata ‘Early Sensation’
Hydrangea paniculata ‘Vanille fraise’.
Hortensia macrophylla « boule » , ‘Bouquet rose’ ?
Hydrangea macrophylla ‘Alpenglühen » ?, au feuillage charnu, qui vire au grenat doublé de violet à l’automne pour de magnifiques bouquets secs.
Hydrangea arborescens ‘Spirit Invincibelle’, Annabelle rose qui porte bien son nom : elle a résisté à la sécheresse, à la canicule, aux vents d’hiver qui soufflent sur l’étang.

Flash back

Il pleut depuis ce matin. Ce jour de grand arrosage nous rappelle notre premier printemps dans la plaine des Vosges. Les prés regorgeaient d’eau, le ruisseau grondait. Rien que de très banal, nous disait-on au village. Mais les choses ont bien changé depuis ce printemps 2013. Les pluies printanières se font de plus en plus rares, le ruisseau commence à se tarir de plus en plus tôt et… notre jardin aussi a bien changé.

Petit moment d’auto-satisfaction pour le travail accompli et les floraisons réussies en dépit d’un climat de moins en moins adapté à un jardin à l’anglaise. Moment de perplexité aussi quant à l’utilité future du petit canal de drainage le long des plates-bandes, il nous avait coûté tant d’efforts…

L’enclos et le paradis

Avis aux nostalgiques du confinement :

« Un jardin, c’est l’enclos et le paradis. La forme sera donnée petit à petit par des choses qui vont apparaître sur le terrain. Le jardinier respecte quelque chose qui est un mouvement physique sur le terrain. On sait quand on commence, on ne sait pas quand on finit. »

Gilles Clément (jardinier, paysagiste, botaniste, biologiste, écrivain)

Mieux que « la prison heureuse », des « chambres de verdure » sont autant d’enclos où s’inventer son paradis, des espaces limités où tout n’est que mouvement.

Ton sur ton

Harmonieuse rencontre « ton sur ton » d’une fleur de phlomis et d’un lepture tacheté (rutpela maculata). Ce coléoptère effilé est facilement reconnaissable à ses élytres jaunes tachés et rayés de noir. Les antennes aussi sont annelées jaune et noir.

Rutpela maculata (lepture tacheté)

Le Phlomis fructicosa ou Sauge de Jérusalem est l’arbuste le plus facile à vivre qui soit. Je l’ai ramené du Jardin d’Adoué près de Nancy et de sa pépinière de plantes rustiques avec la garantie qu’il survivra au climat des Vosges. Planté au printemps dernier, il a enduré la canicule dans la partie la plus ingrate du jardin sans faiblir. Son beau feuillage duveteux, vert argenté ourlé de blanc, a résisté à l’hiver (très doux) et il a déjà doublé de volume. Il devrait atteindre 1 m 25 à maturité.

Phlomis fructicosa (Sauge de Jérusalem)

Née de la dernière pluie

Première floraison de l’hymenocallis ! Eclosion d’autant plus éblouissante qu’elle éclaire le jardin après plusieurs jours de pluie (pluie tant attendue). Cette Ismène festalis est aussi appelée « lys araignée », appellation pas très gracieuse mais qui évoque son délicieux parfum. On l’appelle encore « jonquille du Pérou », invitation au voyage des origines de cette plante bulbeuse de la famille des amaryllis. (Je les ai plantées au jardin dans leur pot pour les mettre sous abri avant l’hiver.)

Cette belle Ismène blanche nous console de la fanaison accélérée par la pluie d’autres élégantes tout en blanc : les iris « dames blanches » et les dernières bractées blanches du cornouiller du Japon.

Iris germinaca « Dame blanche », iris des jardins
Cornus kousa « Venus »

Qu’est-ce que « voir » ?

« … une pie passe en rase-mottes dans le pré. Ou un geai. Je n’ai pas eu le temps de bien voir ce que c’était. Qu’est-ce que « voir » ? Aujourd’hui je dirais : c’est être cueilli, voilà, cueilli : quelque chose – un événement, une couleur, une force – vous fait venir à lui, comme les petits enfants prennent une marguerite par le cou, et tirent. La beauté nous décapite. »

Christian Bobin, ‘La grande vie », Gallimard
La pelouse après deux semaines de panne de tondeuse…

La grande libellule

Nous l’appellerons « la grande libellule ». De son vrai nom « Libellula depressa », la « libellule déprimée », doit cette triste dénomination à son abdomen large et aplati formant une « dépression ». Cet abdomen bleu clair pour le mâle, ocre jaune pour la femelle, est long de 5 cm et l’envergure atteint plus de 7 cm. L’espèce est considérée comme très commune mais pour nous, c’est la première occasion de l’observer de si près…

…et si longtemps car elle patrouille inlassablement autour de notre petit bassin aux grenouilles. C’est clair qu’elle en a fait son territoire et qu’elle y pondra ses oeufs. Et si elle se montre aussi agressive c’est pour écarter la concurrence : les Anglais l’appellent plus expressivement « Broad-bodied Chaser ».