La déposition des géants

Il n’aura fallu que quelques mois aux scolytes, petits coléoptères particulièrement ravageurs, pour tuer nos épicéas. Quelques mois et quelques canicules. Ces épicéas, du haut de leurs trente mètres, nous protégeaient des vents d’Est…

…et nous pompaient chacun quelque 300 litres d’eau par jour. On se console en pensant aux 3000 litres d’eau, puisqu’ils étaient dix, qui redonneront vie chaque jour à notre jardin.

Les effets sont déjà visibles sur le talus, qui était encore à l’ombre des épicéas jusqu’à hier, où les pervenches et les vivaces de printemps ont pris des proportions spectaculaires.

Grand hêtre, d’où viens-tu ?

Quel âge peut-il avoir ? Qui l’a planté là ? Difficile d’imaginer un oiseau transportant une graine du parc thermal de Vittel ou de Contrexéville. Difficile d’imaginer que cette graine de hêtre pleureur, Fagus sylvatica ‘Pendula’, ait pu s’imposer dans la jungle des faines « communes » qui éclosent chaque printemps.

Il est si bien planté, là, sur la ligne la plus haute du jardin, comme un pilier sécurisant la digue de l’étang, les racines protégeant la pente de toute érosion. Une telle perfection ne peut être le fruit du hasard…

La circonférence du tronc (à 1,40 m du sol) étant de 225 cm, le diamètre étant donc de 71,62 cm, diamètre que je multiplie par le facteur multiplicateur correspondant au hêtre soit facteur 2 ou 2,5 (les experts ne sont pas d’accord), notre hêtre aurait entre 145 et 180 ans.

Il serait donc né entre 1843 et 1878. Notre maison n’existait pas encore. Il n’y avait alors qu’une petite maison de pierre accolée à un moulin à eau disparu sans laisser de traces.

Et si l’on disait que notre hêtre avait été planté en 1855 ? C’est l’année de naissance de la station thermale de Vittel et de la grande mode des cures, aussi festives que médicinales.

Peut-être a-t-il été planté par un citadin (un médecin de Nancy, un industriel d’Epinal, un banquier de Metz) comme la première essence d’un futur jardin de campagne ? Ou un « investisseur » flairant le juteux marché des curistes ?

On ne connaîtra jamais la généalogie de ce seigneur qui chaque année se réveille lentement, quand les autres feuillus sont déjà bien verts. Question de taille sans doute, il doit falloir du temps pour que la sève irrigue sa ramure échevelée…