J +1, retour au calme après les vagues de visiteurs (merci Vosges Matin !). Ce fut une grande joie de partager le jardin et ses floraisons, de faire découvrir les créations des artisans d’art. C’est aussi un bonheur de redécouvrir notre petit univers en compagnie des chats, des oiseaux et du chant du ruisseau.
Sambucus nigra, le jeune sureau noir mêle ses premières enflorescences roses aux fleurs de Gertru Jekill…
Premières notes de bleu, prometteuses aux confins du potager abandonné…
Dans l’ombre du sous-bois, au bout de l’étang, le rhododendron prolonge sa floraison.
L’hydrangéa, fleur des huit immortels. L’hortensia, l’hydrangéa qui immortalise la plus célèbre des Hortense. Mais qui donc était cette Hortense ? A qui pensait Philibert Commerson quand il découvrit l’Hydrangea macrophylla pour le baptiser « hortensia ». Une épouse, une soeur, une maîtresse ?
Ou pensait-il latin comme tout bon botaniste : l’hortensia est la fleur de jardin (‘hortus’) par excellence…
Bien sûr, l’hortensia n’a pas la subtilité des hydrangéas à fleurs plates ou à panicules mais il illumine généreusement les coins d’ombre jusqu’aux gelées. Et à y regarder de plus près, il est lui aussi plein de nuances.
Comme son nom le laisse deviner, l’ hydrangea, étymologiquement « vase d’eau », aime la pluie. Le botaniste qui a ainsi baptisé un spécimen venu de Virginie, pour ses petites capsules en forme de coupes, n’avait encore rien vu. Car la plupart des hydrangeas sont originaires d’Asie. Les Chinois les nomment « Fleur des huit immortels », huit divinités taoïstes luttant contre le mal. Ils font la splendeur des jardins de la région de Shanghaï depuis l’époque Ming.
Où l’on voit que l’image du « vase d’eau » ne rend pas justice à la grande variété d’inflorescences de la Fleur des huit immortels. Comme les panicules neigeuses de l’hydrangea ‘Early Sensation’…
Et les grandes inflorescences plates de l’hydrangea Koria…
Hydrangea Koria en début de floraison. Les petites fleurs centrales deviendront bientôt de petites pépites bleu saphir.
‘Blue Bird’ d’un bleu azur intense dès le départ de la floraison, une couleur toujours aussi insaisissable…
Le mot m’a aussitôt plu. Il rime avec feuillaison, floraison, exhalaison… et des horizons ouverts, loin de la ville. Je n’osais alors rêver d’un jardin mais j’ai bien retenu la leçon du rosiériste (dont j’ai oublié le nom). La fanaison est un critère essentiel à la sélection des rosiers : les roses doivent se faner plutôt que flétrir, s’effacer discrètement sans ternir la floraison des nouveaux boutons.
Plus doués que les roses pour ce doux effacement : les hydrangéas. Les hortensias bleus virent au rose mêlé de pourpre, ‘Early Sensation’ passe du blanc éclatant au rose orangé, la blanche ‘Annabelle’ revient au vert printanier avant de se faire transparente.
Hydrangea arborescens ‘Annabelle’
Notre ‘Phantom’, toujours bien droit, se colore de rose saumon…
Hydrangea paniculata ‘Phantom’
…et les vieux hortensias, des macrophyllas dont on ignore le nom, virent au rouge incandescent avant de passer aux pourpres violacés.
Le fantôme s’est réveillé. On l’avait presque oublié au fond du massif en bordure du ruisseau. Thierry de Ryckel nous avait pourtant promis du spectacle : « C’est un géant. Il peut dépasser les 3 mètres de haut et ses fleurs 40 cm de long. N’allez pas planter cela sous une fenêtre ».
Ce ‘Phantom’ était donc tout désigné pour éclairer notre sous-bois.
Hydrangea paniculata ‘Phantom’ encore dans son pot en compagnie du regretté H. serrata ‘Precioza’
Ramené du Jardin de Berchigranges et planté en septembre 2020, il est resté endormi durant deux étés. Deux canicules. Puis, nouveau miracle de cet étrange été, il a émergé des rhododendrons et des skimmias.
‘Phantom’, rhododendrons, skimmias et ‘Blue Bird’
La promesse est tenue : les fleurs sont spectaculaires et sont bien soutenues par leurs branches rigides. Il garde la tête haute même sous la pluie.
Maintenant, il va falloir travailler à lui faire un peu de place dans le massif qui s’est étoffé au-delà de nos espérances depuis 2020.
On craignait la canicule. On a eu de grosses chaleurs. On craignait la sécheresse. Elle n’a pas duré. Protégé des cieux (pourvu que cela dure), notre coin de forêt a été généreusement arrosé par les orages, mais épargné par la grêle, et le ruisseau a repris son cours vers la Saône.
Les nénuphars se sont noyés sous la brusque montée des eaux de l’étang (300 millimètres en une seule nuit !) mais les massifs explosent de fleurs… et d’herbes folles.
Vernonia crinita ‘Mammuth’
La petite mare aux grenouilles a disparu dans une jungle de salicaires, de crocosmias, de roseaux de Chine, de verges d’or, de menthe des marais… et l’allée de chèvrefeuilles à feuilles de buis a besoin d’une taille urgente.
Solidago, Mentha aquatica, Lythrum salicaria, Crocosmias, Miscanthus sinensis Gracillimus, etc.
Nous nous préparions à la mort programmée des hortensias et des hydrangéas mais l’espoir renaît, même s’il ne s’agit probablement que d’un sursis.
Hydrangea serrata ‘Blue Bird’
A l’abri de toute cette frénésie végétale, la saison est aussi à la contemplation et aux confidences entre pattes blanches…
Petit Poutou et son confident, tout doux sous ses allures de porc-épic
Elle n’en revient pas, la petite salamandre. Toute une nuit de pluie, tellement exquise qu’elle en oublie que le matin est là et qu’il est temps d’aller se cacher et dormir. Mais comment résister aux fines gouttes qui continuent à tomber et à cette fraîcheur tant attendue ?
Qu’on se rassure, c’est sûrement par pur plaisir qu’elle reste ainsi, immobile sur les pierres détrempées. Car, renseignements pris, on apprend que les jeunes sont autonomes dès la naissance. Tout de même, ce n’est pas une bonne idée de rester là à deux pas du perron de la cuisine.
Petite salamandre de 5 cm, elle n’atteindra la maturité qu’à 3 à 6 ans. Elle est sans doute le rejeton de la grande et robuste salamandre surprise au même endroit par une nuit d’octobre 2019. Longue d’une vingtaine de centimètres, elle peut vivre jusqu’à 30 ans. Et, dans notre jardin, entre points d’eau et murs de pierres sèches, c’est sûr qu’elle a toutes les chances de prospérer…
Il était encore trop tôt pour voir fleurir l’hydrangéa ‘Koria‘, petite splendeur aux pépites bleu saphir venue du Japon. Seul ‘Early Sensation’ commençait à s’illuminer de ses panicules blanches. Mais le Japon était autrement présent durant ces journées de jardin partagé.
Dans la sensibilité et dans les techniques de nos amis artistes. Dans les sculptures en céramique de grès et porcelaine de Roselyne Norroy : trois femmes-oiseaux en noir et blanc, négatifs de la légendaire grue japonaise, trois silhouettes en mouvement qui semblent se disputer les multiples symboles hérités de la tradition du grand oiseau de Mandchourie.
Comme un voyage au pied du Mont Fuji ou au bord de la rivière Arakawa, où l’on se donne rendez-vous pour contempler des « ciels de fleurs », l’infini traduit en millions de coquelicots, les délicates compositions en raku de Bernard Defer. Des coquelicots blancs, symboles de l’oubli et de l’imagination,. Un coquelicot rouge, symbole du plaisir ou de la consolation ?
Et les vases en raku de Ginet Heuraux, des vases aux « textures » si riches qu’ils peuvent se passer de fleurs.
Même si c’est une création anglaise, le Sambucus nigra ‘Black Lace’ (Eva) mérite les honneurs de l’esthétique japonaise. Ce sureau noir a le feuillage finement découpé des érables japonais les plus délicats. Bien nommé « dentelle noire », il fleurit en ombelles d’un rose pâle aussi subtile que son parfum…
On n’osait plus y croire mais l’orage tant attendu a éclaté. La pluie donnera peut-être un nouveau sursis au jardin. Déjà, les rosiers annoncent une nouvelle floraison et les agapanthes, imperturbables sous la canicule, se délectent des gouttes d’eau.
alchémille mollis
Dans la délicieuse fraîcheur de ces derniers petits matins, c’est le silence. Les grenouilles et les insectes sont invisibles, comme les oiseaux. Seuls quelques cris timides et lointains nous donnent signe de vie.
Hydrangea ‘Blue Bird’
Pourquoi, alors que le jardin est enfin arrosé, fumant de parfums, tout le monde l’a-t-il déserté ? Pour les oiseaux, pas de quoi s’inquiéter, nous a rassurés la Ligue de protection des oiseaux : « vos mésanges et vos pinsons sont partis dans la forêt » sans doute plus appétissante que notre jardin.