Le chat peut toujours espérer, elles ne se laisseront pas prendre. La force de l’équipe et la stratégie de la diversion l’emporteront toujours sur la patience et l’obstination du chat à l’affût. Au premier mouvement de patte, le ballet asynchronisé des grenouilles lui fait perdre la tête. Moralité : impossible de chasser vingt lièvres à la fois.
En tout début de printemps, quand seules les tulipes et les narcisses animaient le Jardin d’Adoué, je n’ai vu que lui : un grand buisson vaporeux au beau feuillage vert tendre, d’une improbable luxuriance au mois d’avril. Je suis rentrée avec un petit plant de cette vivace chevelue. Depuis quatre ans, elle donnait une jolie boule de feuillage qui se fondait peu à peu dans les touffes voisines.
Mais voilà que ce printemps, elle se décide à fleurir. On n’en est encore qu’aux boutons et j’espère qu’ils vont prendre leur temps pour s’ouvrir…
A contempler cette belle architecture végétale, j’ai l’impression que la nature m’a offert un arbre en nuages, un arbre de jardin japonais, un niwaki.
Bientôt cette Ferula communis déploiera ses fleurs, de grandes ombelles semi-sphériques jaune d’or à étamines saillantes. Originaire du bassin méditerranéen mais résistante au froid comme à la sécheresse, la Grande Férule doit son nom à Pline l’Ancien, « ferula » signifiant en latin « la férule », « la cravache », sa tige sèche servait de baguette pour guider la lecture des élèves au tableau.
« Inratable » nous avait promis notre pépiniériste du Jardin d’Adoué. Et elle ne mentait pas. Le camassia, qui disparaît totalement en hiver, ressurgit en avril pour fleurir en temps et en heure. Ses longs épis se couvrent d’étoiles bleues aux fines étamines jaunes.
Ce Camassia si bien nommé ‘Caerulea’, d’un bleu venu des cieux, me rappelle plus que toute autre fleur l’extraordinaire histoire de la couleur bleue racontée par Michel Pastoureau. Ou comment le bleu, couleur barbare méprisée dans l’Antiquité, est devenu la couleur préférée du monde occidental. Au rouge et aux couleurs de feu exaltés par les Grecs et les Romains, les Chrétiens préfèrent le bleu céleste, une couleur « spirituelle », proche des cieux et de l’eau qui purifie.
Bleu en puissance des iris qui se préparent pour la prochaine ouverture du jardin devant le bleu intense des pervenches…
Bleu sauvage et envahissant comme l’Ajuga reptans, si injustement nommée « bugle rampante ». Elle mérite des sonorités pour légères.
De canicule en sécheresse, le rêve de voir un jour fleurir une vallée d’azalées et de rhododendrons le long du ruisseau s’était bien rabougri. Côté jardin, dans le creux de la pente, ils prospèrent plus que de raison, étouffant leurs voisins hydrangéas.
Azalées, rhododendrons, skimmias et hydrangeas côté jardin
Côté forêt, ils vivotaient à moins qu’ils n’aient déjà succombé. Et voilà qu’un hiver et un printemps de pluie ont redonné vie au rêve. Ou aux illusions…
La pluie lui a donné de l' eau elle en a fait des diamants l'alchémille écrin de lumières
Alchemilla mollis
L’alchémille doit son nom aux alchimistes qui y récoltaient l’eau céleste. Les gouttes de rosée, condensé de vapeurs terrestre et céleste, célèbrent le mariage alchimique au creux de ses feuilles. C’est cette eau d’une parfaite pureté qui entraient dans la préparation de la pierre philosophale.
Le petit peuple préfère l’appeler « Manteau de Notre Dame », « Frauenmantel », « Lady’s Mantle » et la pare de toutes les vertus médicinales.
La pluie n’en finit pas de nous faire des cadeaux…
Enfin un printemps anglais ! Un printemps en vert et bleu. Elles manquaient tant à John ces nappes de brume bleue flottant dans les sous-bois. Where are the bluebells ? La question revenait à chaque printemps mais elles étaient là, dans le talus, à attendre des jours meilleurs.
Des jours meilleurs et de l’eau. Les jacinthes des bois sont revenues à la vie à la mort de nos épicéas victimes du scolyte. Du haut de leur 30 mètres, ils aspiraient chaque jour des milliers de litres d’eau dans le talus. Depuis leur disparition, la vie s’y déchaîne. Aujourd’hui, les bluebells doivent se battre pour exister au milieu des silènes blanches, des pervenches, du millepertuis, des mahonias et autres invasives.
Alignement idéal des planètes? Miraculeuse alternance de douceur, de pluies, de chaleur ? Le magnolia ‘Fairy White’ ou magnolia Michelia s’est décidé à ouvrir ses gros bourgeons de velours fauve. En une semaine, ses fleurs d’un blanc éclatant s’ouvrent une à une. Féérique.
Magnolia ‘Fairy White’, le 2 avril 2024Magnolia ‘Fairy White’, le 6 avril 2024
Planté en automne 2017, il aura fallu attendre sept ans pour découvrir que le pépiniériste ne nous avait pas menti : de sublimes fleurs aux pétales étroits, un cœur en bouquet d’étamines saillantes autour d’un pistil jaune pâle, un parfum subtil, « typé, fruité, légèrement citronné »… divin.
Fleur ‘Fairy White’ (10 cm) aux longs pétales découvrant son pistil au coeur d’un bouquet d’étamines jaunes.