Dernier arc-en-ciel

Il n’aura fallu qu’une matinée pour démonter dix épicéas de 30 mètres de hauteur et de plusieurs décennies d’âge. Et c’est en moins d’une heure que leurs dépouilles ont été réduites en broyats dans un grand vacarme et dans de grandes vapeurs poussiéreuses au parfum de résine.

Et l’on comprend alors ce que la déforestation veut dire. Que le progrès, c’est la vitesse. Que la vitesse, c’est la violence.

Et l’on se souviendra des merveilleux arcs-en-ciel qui s’accrochaient aux branches de nos épicéas…

Aucun oiseau n’a été maltraité durant le démontage

Quand le bûcheron nous annonça qu’il faudrait attendre le mois de mai pour démonter nos épicéas (stabilité de la grue oblige), notre première pensée fut pour nos mésanges. Car au bout de l’allée, sous les branches des derniers épicéas, un lilas entremêlé au cognassier du Japon, au seringat et au berberis Koreana leur offrent le meilleur (et le plus parfumé) des refuges. La première mesure fut de déplacer les boules de graines vers le potager. Elles ont aussitôt suivi. Restait cependant à éviter qu’elles ne reviennent dans le cognassier ou le berberis pour y faire leurs nids.

Lilas et Berberis Koreana
Lilas et Berberis Koreana

Nous avons alors demandé conseil à la Ligue de protection des oiseaux. Réponse immédiate, pratique et circonstanciée…

La LPO préconise d’entreprendre tous travaux d’élagage et/ou d’abattage en dehors de la période de nidification des oiseaux : l’idéal étant de les réaliser entre novembre et février, d’une part, pour le bien-être des arbres (métabolisme nettement ralenti en hiver) et d’autre part, pour éviter de porter atteinte aux couvées d’oiseaux (voir notre actualité parue le 31 mars dernier au lien suivant : https://www.lpo.fr/qui-sommes-nous/espace-presse/communiques/cp2022/ne-taillez-pas-vos-haies-pensez-aux-nids).

Néanmoins, si vous êtes dans l’impossibilité d’effectuer vos travaux en dehors de la période de nidification, vous pouvez poser des systèmes d’effarouchement (inoffensifs pour les oiseaux) dans vos arbres. Un dérangement fréquent des oiseaux ne les inciteront pas à s’y installer.

  1. Les mobiles :
  • Suspension, dans les arbres, de mobiles composés de fines et longues lames de métal : acier, aluminium, zinc, cuivre… qui sous l’effet du vent vont produire des sons, voire refléter des images (acier inoxydable ou chromé) ;
  • Installation de silhouettes de rapaces (voir en pièce jointe) qu’il faut fabriquer, selon la durée d’utilisation et le contexte météorologique, en carton fort ou en bois de faible épaisseur. Les peindre si possible de couleur sombre.

Les émissions sonores :

  •  Emission, via un lecteur CD ou une bande son Mp3 ou Mp4, de séquences sonores : cris d’alarme et de détresse qui sont émis lorsqu’un oiseau est saisi ou menacé par un prédateur (voir le CD « Ornithofuga »). Les cris sont à passer en boucle, à intervalles réguliers.

On a respecté les consignes à la lettre mais on a calé sur les émissions sonores. On s’est contentés de claquer des mains quand on a surpris des oiseaux dans le buisson. Et nous n’avons trouvé aucun nid accidenté ou abandonné par les bûcherons volants…

La déposition des géants

Il n’aura fallu que quelques mois aux scolytes, petits coléoptères particulièrement ravageurs, pour tuer nos épicéas. Quelques mois et quelques canicules. Ces épicéas, du haut de leurs trente mètres, nous protégeaient des vents d’Est…

…et nous pompaient chacun quelque 300 litres d’eau par jour. On se console en pensant aux 3000 litres d’eau, puisqu’ils étaient dix, qui redonneront vie chaque jour à notre jardin.

Les effets sont déjà visibles sur le talus, qui était encore à l’ombre des épicéas jusqu’à hier, où les pervenches et les vivaces de printemps ont pris des proportions spectaculaires.

Grand hêtre, d’où viens-tu ?

Quel âge peut-il avoir ? Qui l’a planté là ? Difficile d’imaginer un oiseau transportant une graine du parc thermal de Vittel ou de Contrexéville. Difficile d’imaginer que cette graine de hêtre pleureur, Fagus sylvatica ‘Pendula’, ait pu s’imposer dans la jungle des faines « communes » qui éclosent chaque printemps.

Il est si bien planté, là, sur la ligne la plus haute du jardin, comme un pilier sécurisant la digue de l’étang, les racines protégeant la pente de toute érosion. Une telle perfection ne peut être le fruit du hasard…

La circonférence du tronc (à 1,40 m du sol) étant de 225 cm, le diamètre étant donc de 71,62 cm, diamètre que je multiplie par le facteur multiplicateur correspondant au hêtre soit facteur 2 ou 2,5 (les experts ne sont pas d’accord), notre hêtre aurait entre 145 et 180 ans.

Il serait donc né entre 1843 et 1878. Notre maison n’existait pas encore. Il n’y avait alors qu’une petite maison de pierre accolée à un moulin à eau disparu sans laisser de traces.

Et si l’on disait que notre hêtre avait été planté en 1855 ? C’est l’année de naissance de la station thermale de Vittel et de la grande mode des cures, aussi festives que médicinales.

Peut-être a-t-il été planté par un citadin (un médecin de Nancy, un industriel d’Epinal, un banquier de Metz) comme la première essence d’un futur jardin de campagne ? Ou un « investisseur » flairant le juteux marché des curistes ?

On ne connaîtra jamais la généalogie de ce seigneur qui chaque année se réveille lentement, quand les autres feuillus sont déjà bien verts. Question de taille sans doute, il doit falloir du temps pour que la sève irrigue sa ramure échevelée…

Neige ou soleil ?

Petit matin glacé. Glacé mais pas trop, juste assez froid pour que le ciel nous tombe sur la tête en gros flocons, pour que le givre gonfle ses cristaux sur les branches et les brindilles. Le soleil s’imposera-t-il aux nuages chargés de neige ?

Chaque arbre, chaque buisson révèle ses arborescences givrées, comme la glycine et ses beaux entrelacs…

Une heure de spectacle, de lutte entre soleil et nuages et le soleil l’emporte, révélant de nouveaux reliefs et mille nuances à la blancheur…

Beautés vénéneuses

Chaque printemps, je tente d’apprivoiser le fond du jardin au bout de l’étang. Tout près de la forêt, dans un terrain qui n’aura d’autre arrosage que la pluie, la concurrence est rude avec les racines des grands arbres. Et c’est ainsi que cette année encore, mes plantations entre deux grands bouleaux ont disparu. C’étaient des géraniums vivaces et des anémones du Japon si je me souviens bien. Mais l’espace n’est pas perdu pour tout le monde…

Depuis plusieurs jours, nous avons une jolie plate-bande colorée d’amanites tue-mouches. L’amanita muscaria est vénéneuse mais elle ne prend pas le promeneur en traître : on ne peut la confondre avec aucun autre champignon.

Sous ses allures de créatures de Walt Disney, il paraît qu’elle fait le bonheur des amateurs de voyages hallucinatoires.

La belle saison

Peut-être l’avions-nous oublié : le vert est la plus précieuse des couleurs. Avec le retour de la pluie, le retour des beaux jours : parfums d’herbes mouillées et de champignons, couleurs qui se bousculent, fleurs qui s’ébouriffent d’impatience, murmures et grondements du ruisseau, cris du martin-pêcheur. Et… le brame, « l’haleine de la nuit ».

Dans la plaine Naît un bruit. C’est l’haleine De la nuit. Elle brame Comme une âme Qu’une flamme Toujours suit.

Les Djiins, Victor Hugo

La révolte des hérons

Le héron, « notre » héron, ne nous aime pas. Dès le premier jour, il nous l’a bien fait comprendre par des cris très désagréables, « rapeux et gutturaux » disent les experts de la langue des oiseaux*. On a bien compris le message, maintes fois répété, et on se fait discrets, surtout le matin, son heure préférée pour pêcher dans l’étang.

Cependant, depuis quelques jours, il y a de l’hostilité dans l’air. Il vole et se pose de plus en plus près de la maison. Il a même simulé une trajectoire directement ciblée sur ma personne alors que j’étais au pied de la terrasse. Visait-il le chat, comme le suggère Malyloup ? Pas sûre du tout.

Et voilà que deux autres hérons, plus petits, peut-être les rejetons de notre échassier géant, viennent à leur tour nous narguer. L’un se pose sur la branche de l’épicéa à quelques mètres de la baie du salon, l’autre se perche sur les rosiers avec vue imprenable sur le bassin aux grenouilles.

Au moindre mouvement, les cris reprennent, « croassements rudes et éraillés ». Comme toujours, c’est le plus fort qui a finalement raison. Notre grand héron a réussi à effrayer tout l’entourage pour défendre son garde-manger.

De toute évidence, c’est l’état d’urgence pour lui aussi. La sécheresse a limité ses territoires de pêche et il passe des heures entières dans notre étang… dont le niveau n’en finit pas de baisser.

* Pour la leçon de vocabulaire ornithologique (et bien davantage) : oiseaux.net